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Valérie Bouchard,infirmière en psychiatrie

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Monsieur le Président, 

Peu adepte des protocoles, je vous appellerai Nicolas. 

Je suis un embryon. Bien au chaud, dans l’obscurité du ventre qui m’abrite, je suis dérangé par les ultrasons de l’échographe qui cherche à déceler chez moi une possible anormalité qui conditionnerait mon traitement futur et même le choix de mon prénom : Eugénie.

Je suis une enfant Nicolas, semblable à l’enfant qui est en toi. Parfois je bouge, je crie, plus fort que de raison, je fais mon intéressante, je m’exhibe, comme toi, vivante, humaine. Je suis blessée à l’idée qu’un repérage normatif pourrait m’envoyer directement de l’école au camp de redressement. Bonne élève, malgré mes frasques, me reviennent en mémoire les tristes "camps", ou "centres", dont m’ont parlé mes professeurs.

Je suis une femme Nicolas et suis à ce titre un peu folle, tu en as l’expérience. Je pourrais faire un éclat, quitter mon mari en pleine élection présidentielle, tomber amoureuse sur deux accords de guitare, je pourrais chanter sous la pluie, tout casser un jour de colère. J’ai peur à l’idée que je pourrais me retrouver internée pour si peu sur ordre du Préfet.

Je suis une personne Nicolas, comme toi. J’ai des aspérités, je ne suis pas lisse, je ne me sens jamais tout à fait à l’abri d’une explosion du grain de folie qui m’habite, comme toi. Si une telle chose nous arrivait, je tremble à l’idée que nous pourrions nous retrouver bracelets à la cheville, sédatés trois fois par jour par des infirmiers sentinelles à képi que nous ne verrions jamais, qui ne nous parleraient pas et nous surveilleraient, bien à l’abri derrière un écran télé.

Il y a en chacun de nous et il y a en toi un fou en puissance, rarement dangereux, souvent souffrant et isolé de l’intérieur, qui va chercher à l’asile chaleur humaine, attention et parole pour sortir de l’isolement.

Ce pourrait être toi un jour, si tu ne veux pas le voir, brise ton miroir. Ce pourrait être un(e)proche, ne les laisse plus entrer chez toi car tu es en danger !

Je suis une mère Nicolas. Je m’insurge contre le contrôle, façon Orwell, qui se met en place sûrement, qui dérange mon embryon et mes enfants, qui stérilise mon droit à la folie créatrice et à la rêverie.

Je suis INFIRMIERE EN PSYCHIATRIE Nicolas.

Je me révolte et refuse de me soumettre à une logique de rentabilité, de contrôle social et d’isolement des patients. Je refuse de travailler dans un sas protecteur, tenant les patients à distance derrière mes vitres blindées et mes écrans télé. Je soutiens inconditionnellement les médecins qui auront le courage de refuser d’utiliser les fonds alloués à la psychiatrie pour instaurer le régime de la terreur dans les murs de l’asile.  
 
 
 

Je refuse la logique du risque zéro.

Un schizophrène tue un passant, ce qui est très regrettable.

Ce fait rarissime est monté en épingle par un gouvernement et une presse à scandale pour servir une politique sécuritaire qui vise à enfermer, exclure, à la fois le patient et le risque inhérent à notre métier. Ni l’un, ni l’autre, ne peuvent l’être.

La maladie et la folie ne relèvent ni de la prison, ni de la punition. Elles s’apprivoisent, elles s’accompagnent, elles se contiennent, et comment ? Comme tu l’as très bien dit : par une meilleure gestion dans les hôpitaux.  

C’est à dire :

 
Votre navigateur ne gère peut-être pas l'affichage de cette image.  Affecter d’urgence un maximum de crédit à l’embauche de personnel supplémentaire pour avoir du temps à consacrer aux patients, du temps à accorder à la parole, qui est notre outil de travail. Du temps pour la douceur, la chaleur, le respect, qui sont nos autres outils.

 
Votre navigateur ne gère peut-être pas l'affichage de cette image.  Affecter d’urgence le reste des crédits à la formation, des médecins, des infirmiers, à la spécificité de la psychiatrie.

Il faut être en nombre pour travailler en psychiatrie, comme il faut être en nombre pour refuser l’inacceptable.

Nos conditions de travail vont faire de nous des déserteurs ou des malades. Qui nous surveillera, bracelets aux pieds ou aux poignets, lorsque la boucle sera bouclée ?

Il est devenu impossible de faire taire la voix unanime d’une masse excédée, celle des citoyens, des professeurs, des chercheurs, du collectif-psychiatrie, une voix qui prend de l’assurance tous risques. 

Valérie Bouchard infirmière en psychiatrie.

Lettre au Président de la République

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