Docteur Guy Baillon, le 17 Oct 2008
Docteur Guy Baillon Psychiatre des Hôpitaux
Paris 17 octobre2008
Il est urgent d’aller au secours de la Psychiatrie de Secteur !
Un nombre de plus en plus grand d’équipes de secteur sont sur les genoux et certains en profitent pour les achever.
Lorsque l’on n’est plus en prise directe avec le terrain parce qu’on est à la retraite, on est stupéfait de découvrir les séismes à répétition dont sont victimes les équipes infirmières, abandonnées par leurs médecins partis dans le ‘pôle à côté’. Ainsi déjà, sur le terrain, on ne parle plus de secteur, mais de pôle.
Ces infirmiers, rencontrés lors de formations, ne comprennent pas pourquoi leurs psychiatres aussitôt après avoir demandé la création de pôles s’en vont ; ces infirmiers se retrouvent dans des espaces qui ne s’appellent plus équipe de secteur, mais « équipe de pôle ». Ils constatent effarés que leur pôle regroupe des unités de soin dispersées sur des espaces de différents secteurs, alors que d’autres ‘pôles’ sur les mêmes espaces géographiques s’enchevêtrent, un pôle pour les services d’hospitalisation de plusieurs secteurs, un autre pour des ‘soins au long cours’ ? Qu’est-ce que ce désordre, insensé ?
Ces infirmiers constatent que leur ancien secteur est maintenant coupé en trois portions, chacune réunissant des soignants et des patients d’autres secteurs. Et tout cela s’est fait en douce de-ci de-là sans révolte, parce que ces actions ont été réalisées en catimini. Donc la psychiatrie de secteur est déjà en miettes dans un nombre assez important de secteurs, remplacée par une psychiatrie ‘polaire’ sur d’immenses ‘territoires’. Ainsi lorsque ces infirmiers appartiennent au ‘pôle CMP sud’ ils savent que 80 patients de ‘leur secteur’ sont hospitalisés au ‘pôle hospitalier’ où les soins sont donnés par une équipe hospitalière qui ne travaille plus avec eux, ni comme eux. Ainsi les demandes d’hospitalisation comme les fins d’hospitalisation sont causes de conflits entre les équipes et malgré le nombre ‘trop’ élevé de lits (80 pour 50.000 habitants), ... tout le monde se plaint de n’avoir pas assez de lits (le CMP, les familles, l’hôpital, le directeur !). Évidemment ! Puisque les soignants de l’hospitalisation n’ont plus confiance dans l’autre équipe, celle du CMP, et inversement ! Ce n’est pas fini, il y a pire.
Actuellement une grosse entreprise d’audit connue, promue par des acteurs officiels salariés du ministère, est chargée de bétonner cette évolution en analysant le fonctionnement des CMP pour y monter en épingle les « bonnes pratiques » des CMP.
La MEAH, pour ne pas la nommer, est constituée de gens ‘neutres’ bien sûr, ne connaissant rien de la psychiatrie, de la folie, de plus elle ne se soumet pas au regard des usagers ni des familles, pourtant ce regard est demandé par l’Etat, c’est depuis les lois 2002 et 2005 une obligation ; certes la capacité de séduction de l’entreprise leur aurait peut être jeté de la poudre aux yeux à eux aussi, mais au début seulement, car les enquêtes durent 20 mois, ensuite comme les usagers ont l’habitude d’analyser les dérives ils auraient pointé celle là !
Dans le texte ci-contre, plus long, nous analysons cette dérive extrêmement grave qui s’installe sous couvert de séduction (j’ai des amis qui au début étaient ‘ravis’) avec un discours comme celui-ci : « Nous savons que vous avez quelques difficultés dans votre travail un peu désordonné. Nous en connaissons les raisons. C’est parce que votre ORGANISATION est défaillante. Nous sommes d’excellents organisateurs avec des références fortes. Laissez-nous analyser votre travail et ensuite vous conseiller ! »
Les infirmiers (leurs médecins, simili fonctionnaires soumis à leur administration, n’ont pu qu’obéir à cette offre de service mirobolante, et parfois sont partis après), eux, ont été écrasés par cette enquête, et culpabilisés ; certains ont voulu montrer qu’il y a pourtant des choses qu’ils savent faire ; l’Audit aussitôt leur a distribué des ‘bons points’ et les voilà promus acteurs de ‘bonnes pratiques’ ; d’autres ne comprennent plus rien à leur travail après des remarques pour eux absurdes, mais ils ne le disent à personne, car ils savent qu’ils seront mal vus, mal ‘notés’.
Ils constatent que personne dans cette audit à aucun moment ne parle de ‘clinique’, de ‘psycho- pathologie’, de politique de soin, de philosophie du soin. Pire tout cela est écarté avec violence dans une phrase de la préface qui les taxe « d’idéologies qui polluent » !!!!! Ils constatent qu’il n’y a plus d’équipe de secteur, ces équipes sont morcelées. Il n’y a plus de ‘continuité des soins’, car les malades vont dans des espaces gérés et conduits différemment d’un pôle à l’autre (les politiques y sont différentes même si on n’a pas le droit d’en parler !). Il y a seulement des CMP classés en catégories 1, 2 ou 3 selon qu’ils font, pas bien, bien, très bien leur travail. Contradiction aliénante, comment peut-on penser faire ‘bien’ son travail puisque la suite sera assurée par une équipe inconnue ou avec laquelle on ne s’entend pas, quelle sera la cohérence des trajectoires de soin lorsqu’elle dure toute une vie ? Mais on oblige ces infirmiers à affirmer qu’ils font ‘bien’ leur travail. Les infirmiers savent que l’on se moque d’eux, mais ils n’ont aucun pouvoir pour le dénoncer. Pour les autres ils se refont une santé et un « faux-self », (excusez moi d’utiliser un terme de clinique psychanalytique, mais là il est à sa place) en entendant que ce résultat tordu a été sacré ‘bonne pratique’ par une autorité managériale, qui devient à leurs yeux la seule autorité qui ait du poil et du pouvoir. En plus des bonnes notes le résultat de l’enquête est une accumulation de pages et de pages de chiffres, outil subtil pour noyer tous les poissons. C’est l’ère de la politique du « CHIFFRE ». Mais pendant ce temps où sont les psychiatres ? Il n’y a plus de pilote dans l’avion. Pourquoi continuent-ils à rester divisés, au lieu de fonder en urgence un seul syndicat pour défendre une vraie politique de santé mentale, la politique de secteur enfin planifiée (ce qui n’a jamais existé) ? Ne voient-ils pas qu’avec l’arrivée des ARS et des « territoires » cela va être pire. Nos collègues seraient-ils si naïfs, si fascinés par les dorures de ces audits, par l’appât de la notoriété s’ils se montrent promoteurs de cette tromperie ? Est-ce si important d’être bien ‘en Cour’ auprès du ministre ? plutôt que de promouvoir avec les usagers une psychiatrie ‘vraie’. Ne se rendent-ils pas compte que si par chance ils ont pu garder leur secteur en un pôle, ils sont en train de montrer que la psychiatrie de service public peut être réalisée par un CMP isolé à partir du moment où il est certifié ‘bonne pratique’ ! C’est ce que veut prouver cette enquête. Ils ne se sont pas demandé comment on pouvait parler de bonne pratique alors que l’on a fait disparaitre « l’étalon or » de toute analyse de ce genre, la mesure de base qu’est « la continuité des soins sur des trajectoires de soins durant 15, 30 ans ». Le projet de base de la politique de secteur étant de soigner avec la même équipe la totalité de la pathologie de chaque personne du secteur. La psychiatrie polaire régresse, laisse la place à une psychiatrie de l’acte, ère de la toute puissance du médicament, de l’organisation et de la déshumanisation.
‘Procès d’intention’ disent les censeurs, car rien n’y est dit contre la psychiatrie de secteur qui est la politique officielle ! Certes mais : -1-elle n’est rappelée à aucun moment et d’aucune façon, -2-les ‘idéologies’ sont écartées, terme vague qui semble bien désigner la clinique et la politique de secteur, -3-affirmer qu’il faut écarter les idéologies est en soi la marque d’une idéologie totalitaire refusant aux autres le droit de penser et imposant, sans le dire, l’idéologie du ‘chiffre’, de la comptabilité, de l’organisation sans clinique, -4-la question des soins est écartée dans l’enquête (le contrôle de la prise de médicament cité est le contraire d’un soin, c’est une perte de liberté), -5- la continuité des soins n’est pas rappelée comme point majeur, -6-la mise en exergue d’une bonne pratique d’un CMP veut faire croire que la connaissance et le suivi dans les autres structures n’ont aucune interaction avec le suivi de ce patient, -7-cette démarche consolide la mise en place des pôles, donc le morcellement du secteur.
Après la mise en pôles, c’est la mise en ‘territoires’ énormes, inhumains qui va finir d’assassiner la politique de secteur. Je ne connais qu’un territoire, la France, à bonne distance du pôle nord et du pôle sud ! Mais bon sang ! N’y a-t-il personne pour crier que la psychiatrie de secteur a été une découverte fabuleuse, à peine mise en pratique, et pourtant ayant apporté mille preuves de sa pertinence et de son enracinement d’abord dans les valeurs humaines ? La médecine hospitalière a le droit d’évoluer à son gré. Mais qu’elle laisse la psychiatrie choisir les règles correspondant à sa spécificité, privilégiant l’humain et l’écoute de la folie, sans massacrer l’homme. N’est-il pas possible, une fois encore, 60 ans après la dure leçon de la guerre, de se lever contre l’absurde et l’oppression et de monter un vaste ‘réseau national’ de LA RESISTANCE ?