24 èmes rencontres - "Lieu d'asile". Pour circuler et penser librement...
Compte rendu des 24èmes rencontres
« La liberté est une dimension du soin » Thierry NAJMAN
Nous avions imaginé cette soirée autour du livre de Thierry NAJMAN « Lieu d’asile. Manifeste pour une autre psychiatrie » (éditions Odile JACOB).
On peut dire d’emblée que c’est un livre courageux et qui fait du bien par les temps qui courent. En effet, mener une réflexion sur les entraves à la liberté de circulation des patients et donc de leur parole, écrire un livre sur les dérives sécuritaires et sur les mesures de contraintes qui prolifèrent dans nos établissements n’est pas une mince affaire.
C’est même à contre courant !
Notre invité nous a proposé une intervention claire, documentée, arrimée à sa pratique quotidienne au CH de Moisselles.
En préambule de son intervention Thierry est revenu sur quelques éléments de l’histoire de la psychiatrie. Ceci lui a donné l’occasion de nous expliquer comment après une période dite désaliéniste, la psychiatrie a évolué vers ce qu’il se propose d’appeler le « néoaliénisme » pour décrire une forme nouvelle d’enfermement et de contrainte dans la psychiatrie hospitalière.
Le néoaliénisme n’est pas pour lui un retour à l’asile d’autrefois. Il comporte une certain nombre « d’innovations » citées par Thierry NAJMAN « l’introduction des soins sans consentement à domicile ou la multiplication des unités d’hospitalisations hautement sécurisées comme les Unités pour Malades Difficiles (UMD), les USIP, les UPID ou les UMAP ».
Autre propos qui donne à réfléchir : « Le nombre d’UMD a plus que doublé depuis la promulgation de la loi du 5 juillet 2011, nouveau cadre pour les admissions en psychiatrie sous la contrainte. La demande d’admissions dans les UMD par les services de psychiatrie générale a littéralement explosé dans l’ensemble du pays, laissant à penser que le seuil de tolérance des équipes de soins aux difficultés des patients s’est lui-même effondré ».
Il s’est employé tout au long de son intervention à démontrer que « contrairement à l’évidence, liberté et sécurité ne sont pas obligatoirement dans des rapports d’antinomie mais fonctionnent parfois de concert, en particulier à l’hôpital. La préservation des libertés améliore le plus souvent la sécurité. Au-delà de la sécurité, le soin lui-même requiert une part minimum de liberté, dès lors que celui-ci ne se résume à un traitement purement chimique »
La liberté de circulation est actuellement plus que malmenée, elle est entravée, et parfois les patients avec, dans de très nombreux services de psychiatrie.
Thierry NAJMAN a fait état de nombreux témoignages de soignants mais aussi de patients. Il a de plus cité un certain nombre de rapports officiels pour étayer son propos, faire un constat alarmant et inquiétant.
La psychiatrie française a connu autour des années 70 et 80 une période d’assouplissement en matière de politique d’enfermement. Nous en sommes à des années lumières…
Thierry en proposant ce concept de « néoaliénisme » à brosser le tableau d’une période qu’il situe dans les années 90 et qui dure encore !
Il a ensuite déroulé son intervention à partir de l’identification de plusieurs lignes de fractures :
Réduction de la durée moyenne des hospitalisations (3 semaines).
Paradigme de la santé mentale.
Rupture brutale avec le modèle du secteur. Nouveau paradigme de la santé mentale
Mouvement régressif marqué par la logique sécuritaire avec développement exponentiel de l’enfermement, de la contention, des mesures de contraintes, de restrictions, de contrôles et de surveillances.
Les nouvelles technologies pullulent désormais dans les hôpitaux : caméras de surveillance, détecteurs électroniques de mouvement pour suppléer aux effectifs de soignants en baisse.
« Le néoaliénisme en raffole tout comme il n’est pas non plus antinomique avec l’arrivée des vigiles ou autres agents de sécurité »
Thierry NAJMAN nous a expliqué combien tout cela baignait dans l’hypocrisie ambiante de la certification, de la qualité des soins et de la défense des droits des patients.
Tout cela prospère allègrement dans le nouveau monde de « l’hôpital entreprise » et des diktats de la HAS dont se gargarisent de nombreux serviteurs zélés. Fadaises et misères !
Que nous sommes loin du mouvement de la psychothérapie institutionnelle.
Il faut tout de même dire que si ce concept de néoaliénisme prospère à ce point c’est bien parce que des personnes lui donnent la possibilité d’exister, de croitre et même de coloniser ainsi les services de soins ! Nous avons notre part de responsabilités…soignantes !
A partir de la déclinaison de son expérience, de sa pratique concrète d’ouverture des portes d’un de ses services au préalable fermé Thierry a longuement argumenté sur les effets délétères de la privation de liberté des patients y compris bien sur la privation des mouvements avec la contention.
Il a évoqué les enjeux fondamentaux de droit mais pas que !
Les enjeux de soins sont tout aussi considérables.
« La préservation des libertés des patients dans l’hôpital, et en particulier de la liberté de mouvement, est décisive pour la mise en place des soins. Elle représente bien entendu un enjeu de droit, et pas n’importe lequel, puisqu’elle renvoie tout en haut de la hiérarchie des normes juridiques, au niveau des Droits de l’homme. Mais avant tout, elle constitue un enjeu pour le soin, spécialement pour les patients admis sous la contrainte, ce qui peut sembler un paradoxe : la majorité des professionnels imaginent en effet que la notion de contrainte et d’admission sur demande d’un tiers ou d’office implique l’enfermement matériel et réel dans une unité de soins aux portes closes. Si le législateur est resté bien silencieux sur ce point dans la loi du 5 juillet 2011 – ou sa réforme du 27 septembre 2013 – ce n’est pas par hasard. Rien n’oblige les directeurs ni les médecins chefs à fermer les portes des unités de soins pour les patients admis sans leur volonté, si ce n’est les préjugés de ces professionnels » !!!!
Pour lui l’ouverture des portes doit être liée aux modalités de soins dans un service de psychiatrie. Le projet doit être étroitement articulé à ’ouverture d’un pavillon : « Le soin devrait être conçu de telle sorte qu’il tende lui-même à convaincre le malade de demeurer auprès des équipes accueillantes. Dès lors qu’une équipe se sent obligée de fermer les portes pour retenir physiquement et mécaniquement les patients par la force dans l’unité, cela soulève la question des aspects répulsifs du lieu »
Bien sur notre invité n’a pas occulté la question de l’effondrement des moyens alloués à la psychiatrie : « les soignants de moins en moins nombreux, moins formés quand ce n’est pas déformés par les délires neuroscientistes à la mode ».
On ne peut pas nier non plus que les représentations négatives de la folie et la peur prennent trop souvent le dessus dans les équipes. La folie fait peur, les patients nous inquiètent parfois. Tout cela peut se comprendre.
Mais les lieux de réflexion pour donner du sens, analyser ces sentiments, ces sensations, parler ces ressentis et autres projections négatives nous font défaut. Ils se sont raréfiés quand ils n’ont pas disparus.
En parallèle, les références théoriques qui permettent de travailler tout ces aspects sont souvent marginalisées, déclarées non consensuelle ou menacées d’interdiction !
Quoiqu’il arrive on ne nous interdira pas de penser !
A nous de faire vivre par une forme de transmission et par une déclinaison pratique, dans notre quotidien de soignant, un mouvement comme celui de la Psychothérapie Institutionnelle.
Le mouvement continue !
Plus tard notre invité nous a livré une analyse fine, en effectuant une distinction claire entre la recherche de la sécurité et la logique sécuritaire : « La recherche de la sécurité est tout à fait légitime et souhaitable. Elle consiste en la mise en œuvre de dispositions visant à limiter des risques. La logique sécuritaire consiste, quant à elle, à éradiquer toute forme de risque, ce qui est bien différent. Ce processus ne comporte donc aucune limite et procède d’un engrenage sans fin, si ce n’est éventuellement dans la mort, car la vie comporte par elle-même toute sorte de risque. La logique sécuritaire va au-delà du raisonnable. Elle est marquée par la démesure ».
Pour Thierry NAJMAN l’explication est assez claire : « cette surenchère sécuritaire s’opère par une bascule d’une simple recherche de sécurité vers le registre sécuritaire, dès lors que les mesures prises par les équipes empêchent les soins, ou se retournent contre les soins, contre les malades »
C’est tout l’objet de son livre. Dans un service de psychiatrie la préservation des libertés des patients diminue le niveau de tension du service et améliore notablement la sécurité pour les patients comme pour les professionnels.
La principale raison, fondamentale, repose sur le fait qu’un un gain de liberté améliore la plupart du temps la sécurité à l’hôpital parce que ce gain est intimement liée à une certaine conception du soin et de la maladie mentale. Illustration de son propos : « Dès lors que la relation et le transfert sont placés au cœur des objectifs de travail, la question principale devient celle des conditions requises pour améliorer le lien entre soignant et soigné, mais aussi entre soignant et soignant ou entre soigné et soigné. La préservation des libertés, mais de toutes les libertés, liberté d’aller et venir comme liberté d’expression par exemple, sous-tend la possibilité d’émergence d’un lien de confiance et d’un transfert positif nécessaires au soin ».
C’est sur la base de ce lien, d‘une possibilité de rencontre, sur la base de cette confiance réciproque que les équipes construirons, avec les patients, les conditions nécessaires pour qu’ils restent dans les services. Ce sera beaucoup plus efficace qu’en fermant les portes à double tour.
Pour Thierry NAJMAN « La liberté de circulation et le fonctionnement ouvert d’un service permettent ni plus ni moins l’ouverture d’un espace psychique et l’ouverture d’un espace de travail clinique. L’enjeu ici est celui de l’ouverture à l’autre différent et de la création des conditions de possibilité de la clinique. Il existe, en effet, des conditions institutionnelles ménageant les possibilités de la clinique. L’organisation d’un service doit être mise au service de ces conditions de possibilité. »
Les arguments avancés par notre invité sont d’une importance capitale pour la compréhension de tout ce qui se joue autour de la symbolique de l’ouverture surtout lorsqu’un patient est admis contre sa volonté:
« il est beaucoup plus intéressant de l’aider à subjectiver cette contrainte plutôt que de venir matérialiser physiquement la mesure de contrainte par la fermeture des portes ou, pire, par l’usage de sangles. Cette façon de procéder traduit la confusion des soignants et leur méconnaissance des mécanismes intimes de la psychose : celle-ci pousse en effet les professionnels à venir redoubler les mécanismes psychiques psychotiques dans la réalité extérieure, jusque dans l’organisation même du service. La fermeture des portes, pour ne citer qu’elle, procède de cette logique d’enfermement de la psychose elle-même, et de reduplication dans la réalité des mécanismes psychiques »
Cette analyse nous permet de comprendre assez clairement combien il est parfois facile de se faire piéger à partir du moment où l’on passe à côté de ces mécanismes.
Dans ces situations on mesure alors à quel point les enseignements de la psychopathologie et les appuis sur le mouvement de la psychothérapie institutionnelle sont indispensables à la compréhension de ces éléments.
Malheureusement ces enseignements sont bien souvent inexistants, ils ne sont presque plus abordés de nos jours.
L’ambiance c’est pour Thierry NAJMAN le meilleur levier pour agir et pour prévenir au mieux le risque d’agitation et de violence.
Il faut avant tout la travailler: « C’est en améliorant l’ambiance d’un service que l’on parvient au mieux à prévenir le risque de dérapage violent. L’ambiance mérite à n’en pas douter d’être hissée au rang de concept clinique crucial ».
Thierry NAJMAN définit l’ambiance comme « la généralisation à l’échelle collective du concept de transfert ». Ou encore : « Chercher à améliorer l’ambiance est en quelque sorte une façon de travailler le transfert à l’échelle collective et de permettre en particulier des formes positives et constructives de transfert. Travailler l’ambiance, c’est travailler le transfert à une échelle collective »
Notre invité a souligné combien de nombreux services respirent parfois l’ennui, l’attente des traitements ou des repas, l’inactivité, l’apragmatisme psychotique etc…
« Soigner l’ambiance du pavillon dans le but de soigner les patients devrait devenir le leitmotiv de chaque équipe »
Il est indéniable que les empêchements sont nombreux et les réformes en cours (loi santé, GHT, logique sécuritaire) en sont les illustrations. Mais il existe des possibles, des marges de manœuvre, certes étroites.
Il nous appartient en tant que soignant de s’en saisir et de les emprunter.
Tout au long de son intervention Thierry NAJMAN a insisté sur l’intrication entre la liberté et le soin : « Le soin implique un certain degré de liberté et la liberté possède des potentialités thérapeutiques par elle-même ». Ne l’oublions pas !
« Parler de psychiatrie, c’est parler de liberté, car, qu’on le veuille ou non, quels que soient les débats qui peuvent et doivent se dérouler, à partir de cette proposition fondamentale : la psychiatrie n’existe que du fait que des hommes sont en difficulté sur une problématique de liberté. »
Lucien BONNAFE, Dans cette nuit peuplée, 18 textes politiques, Paris, Ed. Sociales, 1977.
Psychiatre désaliéniste qui a élaboré et mis en place la politique de secteur psychiatrique. Proche du milieu surréaliste, militant anti fasciste, résistant, membre du PC et ancien Directeur de ST Alban il posera avec François TOSQUELLES, et d’autres, les bases de la Psychothérapie Institutionnelle.
Nous remercions chaleureusement Thierry NAJMAN et tous les participants.
C’est avec plaisir que nous vous donnons RDV le vendredi 3 mars 2017 pour nos 25èmes rencontres. Nous accueillerons Pierre DELION, pédopsychiatre, psychanalyste.