20 èmes Rencontres - Comment s'émanciper des logiques normatives ?

Publié par les psy-causent

Cliquer sur le lien ci-dessous pour avoir accès à l'argumentaire au format PDF.

Cliquer sur le lien ci-dessous pour avoir accès à l'argumentaire au format PDF.

Compte rendu des 20èmes rencontres

« Et tout et tout... »

 

 

Loriane BELLAHSEN, première intervenante de la soirée, nous a proposé un véritable travail de déconstruction du nouveau paradigme constitué par les neurosciences et leur impact sur nos pratiques.

Elle s’est appuyée pour cela sur les travaux d’un groupe de travail, dont elle fait partie, constitué de philosophes, de sociologues et de psychiatres.

Ce groupe mène une réflexion autour du concept de neuropolitique qui fait écho aux travaux de Foucault sur la gouvernemantalité. La question posée est la suivante : Quel mode de gouvernemantalité les sciences cognitives engendrent et organisent ?

 

L’air du temps est plutôt à la glorification des neurosciences et du comportementalisme.

Ce ne sont pas seulement des discours mais toute une politique qui se met en place autour de pratiques soignantes, éducatives, ou d'accompagnements des patients.

A partir de ce constat, Loriane a analysé les raisons qui font que les neurosciences cognitives ont les faveurs officielles notamment en psychiatrie en général et pour l’autisme en particulier.

Il suffit pour s’en rendre compte de prendre connaissance du plan autisme qui conditionne le financement des institutions accueillant des personnes autistes à leur adéquation à la recommandation diffusée par la HAS en 2012.

Cette recommandation « marque la consécration des pratiques issues des neurosciences cognitives, mais aussi des pratiques issues du béhaviorisme (ABA) ».

Loriane BELLAHSEN a également insisté sur les enjeux en matière de formation continue. Les orientations théoriques sont estampillées ou pas, ce qui conditionne également leur validation ou agrément.

 

Les neurosciences constituent le champ qui a pour objet d’investigation le cerveau en tant que matière. En prenant appui sur des éléments précis Loriane nous a expliqué comment les neurosciences, à partir du développement des techniques d’investigations du cerveau, ont comme ambition « d’envisager une explication de l’esprit à partir du fonctionnement du cerveau » !

Cette ambition n’est en vérité qu’un programme !

L’IRM a favorisé la dérive des neurosciences : l’illusion d’une visualisation directe de l’activité du cerveau. Finalement « une preuve par le cerveau », au moyen d’une neuro image...

Du coup nous avons mieux cerné à partir de son propos comment les théories de la psychologie cognitive et les neuro images vont servir de preuve...par le cerveau.

 

Pour Loriane ces approches « visent à appliquer la méthode expérimentale issue du monde physique et biologique à l’être humain ».

En clair : observation d’un comportement, puis établissement d’une hypothèse explicative (et fictive), suivie d’une observation de la réponse à des stimulations et enfin reproduction de l’expérience qui fait ensuite preuve et donc tout est validé ! Un peu froid non ?

 

Loriane s’est attachée à dégager un certain nombre de réflexions particulièrement pertinentes à partir des modifications concrètes de nos pratiques.

On ne peut ignorer en psychiatrie et plus encore en pédopsychiatrie l’impact de ce que Loriane nomme le « style de la psychologie cognitive » avec comme éléments :

  • L’arrivée de l’analyse expérimentale du comportement par le biais de tests et autres questionnaires.                                                                                                                          Des diagnostics posés et exprimés par des scores chiffrés, considérés valides scientifiquement.                                                                                                                  Les familles sont par exemple interviewées leurs réponses transformées en chiffres et les chiffres traduits en diagnostic...                                                                                            Loriane a pu faire le constat dans sa pratique de l’utilisation de ces techniques comme si elles étaient des examens para cliniques de médecines somatiques !

 

A ce stade de son intervention Loriane a rappelé le fondement de toutes ces pratiques : Elles reposent sur la conviction d’un phénomène cérébral provoquant les symptômes du patient...

 

  • L’étape suivante de la modification est l’injonction à ordonner le suivi du patient en fonction de ses scores cognitifs et son QI.

Cette étape puise sa force dans le phénomène « preuve par le cerveau » qui n’est pas dans ce cas produite par une neuro image mais par des chiffres.

 

Ce que Loriane BELLAHSEN décrit comme une tentative de « traduction en chiffre de la subjectivité de l’humain ».

« On nous demande de déplacer le curseur du coté de ce que le patient peut en termes de capacités et non pas du coté de ce qu’il veut. Ce sont les préoccupations sociales utilitaristes qui régissent ce type d’injonction »

 

  • Enfin dernier impact : la notion d’apprentissage, les centres d’entrainement, la répétition d’un geste, d’une tâche sont omniprésentes dans les techniques comportementalistes et autres rééducations.

 

Enfin et pour clore son intervention Loriane s’est longuement penchée sur les conceptions idéologiques de deux chercheurs particulièrement reconnus dans le champs de l’autisme : Laurent MOTTRON et Simon BARON-COHEN.

Conceptions théoriques que nous qualifierons de particulièrement préoccupantes...

MOTTRON prône une sorte de communautarisme cérébral agréé par la littérature scientifique. Il considère que donner un diagnostic aux personnes autistes c’est leur permettre de se reconnaitre comme humain !

BARON-COHEN se situe plus dans les valeurs du champ économique néolibéral. Il considère l’autisme comme un style...cognitif particulier qui confère un avantage dans la société de marché !

 

Loriane nous proposé une intervention argumentée, complète et très instructive.

Nous avons pu observer et comprendre les rouages de cette mécanique redoutable. Celle des neurosciences, du comportementalisme et de la psychologie cognitive.

 

Mathieu BELLAHSEN après une introduction autour de la Semaine d’Information sur la Santé Mentale, magnifiquement détournée à Reims chez notre ami Patrick CHEMLA en Semaine de la Folie Ordinaire, idée reprise par Mathieu et Loriane avec UTOPSY, a abordé l’émergence de ce qu’il nomme « la schizophrénie de laboratoire ».

Il a appuyé son propos sur toutes les études qui tendent ou (tentent) à démontrer que le problème central de la schizophrénie est un déficit cognitif.

Mathieu a immédiatement précisé que ces études durent entre 12 et 18 semaines et nous expliquent ensuite comment améliorer ce déficit cognitif...

Le problème étant que ces études sur la « schizophrénie de laboratoire » s’imposent ensuite dans nos pratiques et nous présentent cette schizophrénie comme la seule réelle !

Une des répercussions est constituée par le fait que les patients les plus graves, les plus malades, qui ne rentrent pas dans ces cadres en seront exclus.

Du coup Mathieu BELLHASEN a posé le problème suivant, « comment proposer des dispositifs d’accueil, de soins, d’accompagnements qui partent de ceux qui sont le plus facilement exclus ? »

Pour étayer son propos Mathieu a refait le lien avec l’histoire de la Santé Mentale.

Pour lui on est passé d’un moment où on tentait d’adapter les dispositifs aux personnes les plus en difficultés à un temps ou on demande désormais aux personnes de s’adapter aux dispositifs.

Avant même le début des soins et parfois même avant qu’on leur ait dit bonjour on demande aux patients d’avoir un projet de sortie... Quel accueil !!

Mathieu nous a très bien expliqué que ce virage, radical s’opère à partir d’un certains nombres de mots très positifs contre lesquels il va falloir déconstruire tout un tas de choses.

L’exemple donné par Mathieu est criant : la réforme des hospitalisations sous contrainte en 2011 et 2013.

Dans le projet cette loi parlait d’accès et de continuité des soins. Contre lesquels on ne peut pas être à priori. Sauf qu’il fallait remplacer le mot soin par contrainte...

 

Autre ambigüité majeure, ce vocabulaire et cette idée d’accès aux soins et de continuité sont empruntés à la fondation du secteur psychiatrique sur une base désalièniste et progressiste dans les années 50, 60.

On ne peut que faire le constat d’une espèce de renversement des mots et des concepts ce que Mathieu a très bien illustré avec la Santé Mentale.

Au départ c’était un outil de désaliénation qui posait la question de l’accueil de la folie dans la cité.

La confusion est venue entre autres choses de l’entrée dans le champ de la santé mentale d’aspects tels que l’anxiété, le stress au travail, le burn out, les risques psycho sociaux. En clair une psychologisation du social.

 

Il est difficile de nos jours autour de la santé mentale de comprendre comment un mot pourrait servir à plein de choses contradictoires.

Exemple avec la définition de la santé mentale telle que donnée dans le rapport COUTY en 2009 : « Une personne en bonne santé mentale c’est quelqu’un qui va s’adapter à une situation à laquelle  il ne peut rien changer » !!!

Mathieu nous a encouragé à ne pas nous adapter à une situation qui nous est présentée comme étant inchangeable !!!

Il est de notre devoir de nous positionner politiquement, en tant que citoyen.

Mathieu nous a très bien illustré, à partir de différents rapports nationaux ou européens, comment la santé mentale s’est décentrée de son origine psychiatrique, progressiste pour se recentrer sur une vocation économique.

4 énoncés structurent certains discours sur la santé mentale.

Le premier est élaboré à partir de pourcentages qui nous sont assénés : 20 à 25 % de la population Française aura un jour des troubles de la santé mentale, sans qu’on nous donne les critères d’inclusion, bien entendu toujours relevés et incluant la moindre difficulté style insomnie ou tristesse passagère.

2ème énoncé, la Santé Mentale coute cher : 3 à 4% du PIB.

Donc la santé mentale devient un levier d’action pour faire des économies...

3ème énoncé, il faut déstigmatiser la maladie mentale qui est une maladie comme les autres.

Pour Mathieu certains patients, qui répondent au cadre, sont en quelque sorte déstigmatisés alors que ceux qui ne se plient pas à ce cadre se retrouvent confrontés aux dispositifs d’exclusion/relégation : enfermement, exclusion dans la rue, relégation dans les prisons.

Tout ce discours est étayé par des mots : autonomie, emporwement, etc...

Par ailleurs comme la maladie mentale est considérée comme une maladie comme les autres ont va importer du coup des techniques issues des maladies somatiques : imagerie, neurosciences, éducation thérapeutique, etc...

En parallèle d’autres mots sont empruntés au neurologique, par exemple anosognosie à la place du déni des troubles.

 Tout cela n’est pas neutre. Il y a là une nouvelle neuropsychiatrie qui s’immisce dans nos pratiques à partir des neurosciences.

Mathieu avec humour nous a rappelé que depuis 50 ans environ aucun progrès ne s’est traduit dans la pratique quotidienne que ce soit pour l’imagerie ou les médicaments soit disant sans effet secondaire...

4ème et dernier énoncé, la santé mentale est une priorité de santé publique.

Pour Mathieu la santé mentale va faire l’objet d’intervention de l’état, elle va rénover une figure de gouvernemantalité, c’est-à-dire comment on va conduire la conduite des individus.

 

A partir de son constat Mathieu nous a proposé plusieurs pistes de réflexion : Comment repenser l’articulation entre le micro politique et le macro politique ?

En s’appuyant par exemple sur les diverses expériences collectives telle que celle des Psy Causent, des nouvelles formes de lien social et d’activisme politique au sens littéral du terme et qui créent de nouveaux agencements.

Depuis peu de temps des familles, des patients, des professionnels, des artistes tiennent une parole commune sur ce qu’est la folie et les nécessités pour accueillir les gens les plus en difficultés.

Localement il faut tenir des positions, en clair comment on essaie d’ouvrir des espaces de pensées et de pratiques.

Mathieu nous a encouragé à tenir des lieux micro politique, comme le notre et d’autres, qui donnent la possibilité aux gens de se positionner, venir ou pas...

 

Autre piste comment penser des nouvelles constellations, de nouveaux liens entre tous les espaces d’échanges et de réflexion et comment on peut parler ensemble à partir de nos pratiques ?

Comment on se débrouille dans notre quotidien ?

Comment on essaie d’instituer des pratiques émancipatrices dans un cadre qui ne l’est pas mais qui se dit l’être ?

Comment créer des dispositifs nouveaux, créer un cadre qui va supporter sa propre subversion.

 

En conclusion de son intervention Mathieu est revenu sur les apports considérables de la Psychothérapie Institutionnelle, balise incontournable pour penser les questions de l’accueil de la folie et de la rencontre en ces temps mouvementés.

Il nous a livré un exemple de fonctionnement collectif à l’occasion de la création d’un journal institutionnel. Un lieu de rencontre, ouvert à tous, favorisant la circulation des personnes et de leur parole.

Au sein de ce groupe, chacun a pu devenir acteur, prendre des décisions, des responsabilités…

Au moment de décider du titre du journal, le choix du comité de rédaction s’est porté sur une phrase répétée par une personne « Et tout et tout »...

 

 

C’est avec beaucoup de plaisir que nous avons accueilli pour la deuxième fois TOLTEN, rimailleur, slameur, souffleur de son et de sens.

C’est à chaque fois la promesse d’un émerveillement à venir, celui qui va surgir à l’écoute de son intervention, mais aussi celui qui va suivre en repensant à ses mots, à sa poésie. Instant magnifique qui nous maintient  dans l’impatience, celle de la survenue de sa prochaine ponctuation.

TOLTEN nous a offert à la suite des différentes interventions ses croquis sonores, véritables pépites.

Il se balade entre improvisation et poésie comme un funambule sur le fils des mots et nous amène avec lui.

Il trouve un équilibre, fragile et beau, et nous donne à réfléchir au rythme des mots et de ses rimes.

On se laisse alors embarquer pour une flânerie, parfois une errance et souvent un voyage, singulier, transporté par la musique de sa poésie.

Un chemin inattendu, vers un ailleurs à la fois lointain mais si proche car toujours tourné vers l’Autre... différent, notre semblable.

TOLTEN, psychologue, anime régulièrement des ateliers d’écriture et de slam dans différentes institutions (hôpitaux psychiatriques, prisons, milieu scolaire, etc.) en France et en Amérique Latine).

Il vient de publier un livre « L’Etre Ange Monde », aux éditions du champ social, dont nous vous recommandons la lecture.

Ce livre est une succession de rencontres singulières et de paysages parfois étranges.  C’est un recueil de ses textes articulé autour de 3 thèmes : On sans toi (t), On sans fous, On s’envole...

 

 

Christian MAZZUCHINI, saltimbanque, artiste, metteur en scène, comédien pour le cinéma et la TV nous a proposé une belle performance artistique en interprétant les textes de TOSQUELLES. Un jour, Christian MAZZUCHINI découvre la pensée et la personnalité de François TOSQUELLES grâce à la vidéo d’une interview.

François TOSQUELLES mort en 1994, psychiatre Catalan, militant antifranquiste, précurseur de la psychiatrie moderne et à l’origine du mouvement de la Psychothérapie Institutionnelle. 

Psychiatre extraordinaire, exubérant, maniant la poésie, et l’humour décapant dont la pensée et les apports considérables nous accompagnent encore. De cette rencontre naîtra un spectacle magnifique « Psychiatrie et Déconiatrie ».

Christian MAZZUCHINI nous a proposé une « Tchatchade Tosquelliene » mêlant son interprétation des textes de TOSQUELLES, magnifique, et ceux de Serge VALETTI, jubilatoires ! 

Il a tissé pour nous un spectacle dans lequel sont liés Rire et Folie à partir de la parole de TOSQUELLES !

Christian MAZZUCHINI, grimé en TOSQUELLES imitant à la perfection son accent et ses tics, a réuni pour notre plus grand plaisir trois pratiques : l’écriture, le théâtre et la psychiatrie.                                                                                                                                   Une mise en jeu de l’Humain, singulière, sur les chemins de notre propre folie, de notre humanité commune.

Nous avons cheminé, nous nous sommes laissés guider par cette« tchachade » et par la pensée de TOSQUELLES, entre réel et inconscient au plus prêt de sa parole éclairée et éclairante.        « À ce que Freud appelait “ Faire de libres associations “, je préfère l'expression déconner ensemble » François TOSQUELLES.

Alors, ne nous privons pas de continuer d’associer, de tchatcher et encore moins de déconner !

Nous remercions chaleureusement nos invités ainsi que tous les nombreux participants à cette soirée réussie, grâce à tous…

Un grand merci à tous ceux qui nous ont aidé financièrement, sur place ou par l’intermédiaire du pot commun sur internet.

Cette aide est précieuse pour poursuivre l’aventure.

 Pour ceux qui ne l’auraient pas encore fait, le lien suivant est toujours actif ! https://www.lepotcommun.fr/pot/kvik5zji

Nous vous donnons rendez vous le vendredi 18 septembre pour les 21èmes rencontres autour de Patrick COUPECHOUX, journaliste.

Cette prochaine soirée intitulée « Un homme comme vous… » est inspirée par son dernier livre.